Max Cartier | Les poêles
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Les poêles

1987 – Les poêles

 

Les Immortels, ces « sirènes à queues vertes », dont parlait Jean Cocteau, avec une poétique irrévérence, comptent parmi leurs privilèges celui de porter l'épée : une véritable pièce d'orfèvrerie généralement individualisée par un artiste en renom, qu'ils affichent dans les grandes occasions, avec leur grand uniforme, et qu'ils ne tirent jamais, préférant au besoin faire mouche avec des mots.
Un honneur jadis réservé aux gentilshommes, que sous l'Ancien Régime, un souverain peu porté à l'observer (le régime), avait étendu aux grands chefs de cuisine, reconnus en quelque sorte en tant qu'Immortels, eux aussi, des nourritures terrestres. Immortels, mais non invulnérables, comme en témoigne la glorieuse et triste fin de Vatel : cet illustre ordonnateur des plaisirs de bouche du prince de Condé, qui s'embrocha proprement sur l'insigne de sa charge parce que le retard de la marée lui avait fait manquer le service de Louis XIV...
C'est peut-être pour n'être pas tentés de suivre son exemple, que nos modernes maîtres queux ont renoncé à s'encombrer de leur martial attribut. Celui que leur propose, en contre-partie, le sculpteur niçois Max Cartier, est à la fois moins belliqueux et beaucoup mieux adapté à l'app ²xc !areil de leur état. A partir du plus commun de leurs instruments de travail, il crée une oeuvre d'art. De leur poêle préférée, cuite et recuite aux flammes de tous les coups de feu, usée d'avoir servi à produire, elle aussi, tant de chefs-d’œuvre gastronomiques, il fait une pièce unique, un objet de collection, une sculpture. Une manière d'insigne du chef, pour chef insigne.
Ceux qu'il a résolu d'adouber de la sorte, réunissent tant d'étoiles aux Michelin, qu'ils forment une constellation. L'idée ayant d'abord séduit son ami Jacques Maximin, du « Chantecler », celui-ci s'est chargé spontanément de mettre les cuisines célèbres en batterie, et de sonner le rappel de ses pairs. Aucun n'a failli à se défaire d'une poêle : cet outil -tous les cordons bleus vous le confirmeront - d'autant plus attachant qu'il n' « attache » pas. Roger Vergé, Alain Chapel, Freddy Girardet, Paul Bocuse, Pierre Troisgros, Alain Ducasse, Michel Rochedy, Pierre Gleize, Jacques Chibois et Claude Terrail en tête, tous les « toqués » de race ont versé leur contribution au poids de la fonte, de la tôle d'acier ou du cuivre, la patine inimitable des « pianos » en prime. Dans son atelier vieux-niçois de la rue Saint-Suaire, Max Cartier s'est retrouvé d'un coup avec plein de poêles dans la main. Ce qui l'a contraint à ne pas s'abandonner à la paresse. Ni à la facilité car dans cette aventure, ce n'est pas l'anecdote qui intéresse l'artiste :
-« Cela s'inscrit, dit-il, dans le droit fil de mon travail. J'ai toujours été fasciné par les objets utilitaires. Par leur matière, par leur forme commandées par une fonction. Par la faculté de l'artiste, de transcender leur banalité en leur inventant un autre destin, sans occulter leur destination première : mes poêles, par exemple, restent fondamentalement des poêles, tout en devenant autre chose sous le feu du chalumeau et les couleurs de la palette... »
D'étranges, de superbes masques polychromes, que l'on dirait parfois renouvelés de l'Afrique profonde :
-« Ce thème du masque s'est imposé de lui-même, avec l'influence africaine. J'ai mis un temps, avant de réaliser qu'il colle tout à fait à la nature même du chef de cuisine: il y a du sorcier, dans cet homme qui pratique, au fond, un art du feu. Qui avance « masqué » à sa façon, usant de secrets qui ne se transmettent qu'entre initiés, déployant les rites et recettes d'une mystérieuse alchimie pour transmuter en or du palais le plomb vulgaire des produits bruts... »
L'idée est si belle, qu'elle pourrait bien faire recette. Max Cartier, pourtant, n'a pas l'intention de remettre le couvert.
D'exploiter le filon. Ses 74 poêles ne feront pas de poêlons, pas de séries : rien qu'un bijoux, un pendentif en or également unique, et plus facile que le modèle à porter en sautoir. Quant aux originaux, ils seront exposés à partir du 4 novembre, au club Lionel-Hampton du Méridien, à Paris, et « vernis » en présence de tous les chefs au cours d'un hommage à Moustache, qui fut de son joyeux vivant, un de leurs plus fervents zélateurs. Puis 1'exposition se transportera à Rio de Janeiro ou elle sera dispersée entre toutes les tables étoilées qui en ont fourni la matière. La preuve que pour « revenir », rien ne vaut une bonne poêle - René CENNI, Nice Matin du 26 Septembre 1987.