Les chaises de Max Cartier, UNE APOCALYPSE GENTILLE.
Max Cartier prend comme il se doit, toutes les libertés avec l'objet de son désir. Ou plutôt les objets de ses désirs. Le pluriel conviendrait mieux car les désirs sont multiples et l'objet bien qu'il corresponde à un seul concept, revêt les formes de chaises les plus diverses.
Max Cartier pourrait bien être un Eugène Ionesco devenu peintre et sculpteur. Il nous fait revivre l'aventure des chaises dans le théâtre de son atelier, au terme d'une performance qui s'apparente tout autant à la colère d'Arman qu'au Dripping Pollockien.
La gestualité est déterminante chez cet ancien acteur : osier, bois, métal, grain, ressorts, tissus, bourre, tout y passe, toutes les chaises et tous les styles. Désossées, dépiautées, vidées et réarmées, restructurées au terme d'un corps à corps délirant et puis aspergées et cirées, passées à la peinture, les chaises sont comme exorcisées de leur routine signifiante et ce qu'il en reste après le passage du démon créateur atteint à la fascinante sérénité de l’œuvre d'art.
Car il s'agit bien d'un processus de possession. Max Cartier monte démonte casse et assemble peint et repeint comme un possédé. Son travail est un jeu qui s'apparente à celui des acteurs `` d'Andrzej Zulawski : la chaise est ``la femme publique``.
Que reste-t-il de tout çà, en tension sur un mur ou en équilibre au sol ? Un meuble défiguré et bariolé qui a gardé la mémoire de sa dramatique aventure. Une aventure qui aurait pu tourner au cauchemar et qui débouche sur le miracle de la métamorphose. L'image finale de cet objet tendu trituré et peint évoque les grands moments de l'expressionisme et du cubisme, leurs charmes stridents et chaotiques, leurs explosives beautés. Telle est la loi de l'énergie vitale : pour qui le veut l'apocalypse c'est être gentil. C'est son sourire sourd, venu des profondeurs ténébreuses de l'être qui éclaire la création gestuelle de Max Cartier. Un geste, un acte, un coup de théâtre, c'est le jeu de l'irréparable, un jeu sur lequel se fonde l'essence même du monde, et qui ignore la répétition. J'attends déjà Cartier au tournant après la chaise : comment saura-t-il s'en débarrasser ? - Pierre Restany. Paris, le 27 Mai 1984.